La dichotomie fondamentale terre/cité à travers quelques lectures maghrébines

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  • Jamel ALI KHODJA Département de Langue et littérature françaises Université Mentouri Constantine (Algérie)

Abstract

La présente étude explore le patrimoine littéraire maghrébin sous l’angle de cette dichotomie fondamentale Ville/Campagne. Elle révèle que celle-ci charrie avec elle cette forte pesanteur historique : le dualisme colonisé-colonisateur. Les villes maghrébines en particulier, se donnent à lire comme reflet de l’histoire et comme  reflet des identités torturées, partagées entre le modernisme et la tradition, la recherche du progrès et le maintien d'un mode de vie ancestral.

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Jamel ALI KHODJA, Département de Langue et littérature françaises Université Mentouri Constantine (Algérie)

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References

Ahmed SEFRIOUI, La Boîte à merveilles, Paris, Denoël, 1954, p. 22, rééd. ANEP, 2006.

Qu'il s'agisse de mendiants, de tisserands ou de fellahs, il est question, chez Dib, d'hommes "somnambules, fantômes, spectres." (Le Métier à tisser, Paris, Le Seuil, 1957, rééd. ANEP, 2008. pp. 18 ; 162 ; 184), il est question d'hommes "damnés", et d'êtres "cloués au sol", "aux regards égarés" (Idem, pp. 53 ; 190 ; 199-200). Tous les termes ci-dessus énumérés sont liés sémantiquement à "nuit" ; "l’armée de fantômes" (Idem, p. 162), par exemple, constitue une humanité nocturne qui rappelle les prisonniers de la "Grotte de Platon", une humanité à l'état de sommeil, tellement elle est plongée dans la résignation et l'abrutissement.

Mohammed DIB, Le Métier à tisser, pp. 14 ; 17. Driss Chraïbi nous donne aussi une vision cauchemardesque de la vieille ville : " Les mendiants sont aussi devant les boutiques, les cafés maures, couverts de plaies, verbe diarrhéique, loques multicolores, yeux chassieux que picorent des mouches, les mêmes mouches qui éventent les denrées exposées à tout vent et que chasse vainement un plumeau en doums." (Driss CHRAIBI , Le Passé simple, Paris, Denoël, 1954, p. 12, rééd. ANEP, 2006).

Toutefois, la description de Fès s'accompagne d'un inventaire détaillé des souks de la ville par lequel il sera possible au lecteur de découvrir les diverses ruelles et les divers quartiers de la médina occupés par des corporations différentes : graveurs sur cuivre, tanneurs, commerçants en gros d'huile d'olives, épiciers, boulangers, notaires, etc. A cette description le narrateur ajoute le point de vue olfactif et relate le mélange des odeurs que véhiculent la ville au petit matin, le parfum des pauvres prédominant à travers les souks. (Driss CHRAÏBI, op. cit. p. 12)

Rachid BOUDJEDRA, La Répudiation, Paris, Denoël, 1969, p. 83, rééd. Alger, ANEP, 2005.

Mohammed DIB, L'Incendie, Paris, Le Seuil, 1954, p. 13, rééd. Alger, ANEP, 2005.

Rachid BOUDJEDRA, La Répudiation, op. cit. p. 26.

Frantz FANON, Les Damnés de la terre, Paris, Maspéro, 1968, p.8, rééd. Alger, ANEP, 2008

Si la frontière entre les deux parties de la ville n'est pas concrète, elle n'en est pas moins réelle : on sait qu'ici commence la ville arabe et l'Européen pour sa part, évite de s'y aventurer. A ce propos Jean Cohen nous précise que : " Les Arabes ont leurs quartiers, leurs cafés et leurs cinémas où les Européens ne vont jamais. La ségrégation se fait à sens unique et il en est toujours ainsi. L'inférieur veut bien aller chez le supérieur, mais le supérieur ne lui rend pas la politesse (...)." (COHEN Jean, Racisme et colonisation en Algérie", in Les Temps Modernes, novembre 1955, p. 585)

Face à l'autre communauté dont tout sépare, même la répartition géographique, la minorité européenne forme un bloc homogène où gros colons et "petits blancs" sont solidaires malgré l'énorme différence sociale qui pourrait les séparer.

Ali BOUMAHDI , Le Village des Asphodèles, op. cit. p. 59.

La présence des bâtiments de la gendarmerie à l'entrée du quartier européen du Village des Asphodèles est assez éloquente. Gendarmerie, gardien, garde-champêtre sont des personnages qui font partie du décor de l'Européen qu'ils rassurent en lui donnant la réconfortante sensation d'être du côté de l'ordre, en le protégeant contre l'Arabe et surtout en veillant sur ses biens.

De nombreux exemples témoignent du besoin de se protéger, comme si, tout en clamant la légitimité et la solidité de son oeuvre et de sa présence, l'Européen les sentait confusément menacées. Voir, entre autres, ces images de l'univers de l'ancien vainqueur : Le Sommeil du juste, (1955), p. 63 : " Le colon, la ferme, le gendarme, le garde-champêtre (...)." ; Le Village des Asphodèles, op. cit. p. 61 : " Les gardiens (...) qui surveillaient sans cesse les futures récoltes, le fusil en bandoulière (...)" ; Nedjma, (1956), p. 24 : " (...) un gardien (...) le fusil dressé vers le ciel (...)" ; L'Incendie, op. cit., p. 70 : " Ils venaient à nous avec leurs chiens, leurs valets et des fusils (...)."

Rachid BOUDJEDRA, La Répudiation, op. cit. p. 48.

Idem p. 48.

Jean COHEN, "Racisme et colonisation en Algérie", Les Temps modernes, nov. 1955, pp. 586-587.

Ali BOUMAHDI, Le Village des Asphodèles, op. cit., p. 15.

Aïni devient capable de gestes incontrôlés comme de "lancer un couteau de cuisine", blessant son propre enfant (La Grande maison, (1952), p. 12). Lors de ses fréquents accès de colère, elle devient haineuse, cruelle envers les siens. Elle s'exprime par "imprécations" (La Grande maison, op. cit. p. 12), et affiche parfois une "rancune" telle que son cynisme paraît sans limite ; c’est ainsi qu'elle est amenée à souhaiter, sans regret la mort à sa mère Mama :

"Puisses-tu étouffer sur ta couche", lui dit-elle.

" Puisses-tu manger du poison ! " (La Grande maison, p. 142)

. Abdelkabir KHATIBI, La Mémoire Tatouée, Paris, Denoël, 1971, p. 20, rééd. 2004.

Mohamed KHAIR-EDDINE , Moi, l'aigre, op. cit., p. 10.

Albert MEMMI, La Statue de sel, p. 21. L'expression "ville sordide" renvoie au passé renié par le narrateur et évoque les rapports de l’enfant avec l'environnement citadin comme des rapports d'hostilité et ceci devient évident au moment de l'adolescence. Poursuivant sur cette notion de symbolisme du rattachement à la mère du lieu natal, le narrateur explique qu'il se sent définitivement écarté de la mère (parce que l'acculturation l'a définitivement écarté des valeurs originelles) en même temps qu'exclu de sa ville natale : "En allant au lycée, j'allais faire connaissance avec la ville. J'avais cru que, par une faveur insigne, on m'ouvrait les portes du monde ; je n'aurais qu'à y entrer pour être accueilli avec joie : je me découvris irréductiblement étranger dans ma ville natale. Et comme une mère, une ville natale ne se remplace pas." (Idem p. 21)

Driss CHRAIBI, Le Passé simple, op. cit., p. 25.

KHAIR-EDDINE Mohamed, Corps négatif, Paris, Seuil, 1967, p. 102, rééd. 2005.

Idem p. 45.

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KHAIR-EDDINE Mohamed , Moi, l'aigre, Paris, Seuil, 1970, pp. 152 et 108.

KHAIR-EDDINE Mohamed , Corps négatif, op. cit. p. 49

DIB Mohammed, L'Incendie, op. cit. p. 19.

Nabil FARES , Yahia, pas de chance, Paris, Le Seuil, 1970, p. 90, rééd. Alger, 2009.

Abdelkabir KHATIBI , La Mémoire Tatouée, op. cit., p. 121.

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Abdelwahab BOUHDIBA, La Sexualité en Islam, Paris, PUF, 2009,. p. 210. L'évocation de ce lieu paradisiaque, où la liberté du corps féminin trouve son expression la plus totale à travers sa nudité, peut paraître comme un lieu de rêve pour un public masculin non habitué à un tel spectacle de nudité intégrale. Ainsi l'admission des garçonnets dans les bains de femmes ne commence à faire problème qu'à partir de l'âge de huit ans environ. Le jeune Rabah Belamri se souvient des baigneuses nues faisant cercle autour du bassin, "dans les positions les plus diverses: jambes pendantes dans l'eau ; assises sur la première marche du bassin avec de l'eau jusqu'aux seins ; accroupies ; en tailleur ; sur le genoux ; les jambes écartées ; ou encore couchées sur le ventre ou sur le dos. Elles se frottaient avec des gants rugueux et des pierres abrasives jusqu’à ce que des plaques de rougeur apparaissent sur leur peau ; elles se savonnaient abondamment ; elles faisaient appel aux unes et autres pour se desquamer et se masser.

L'ambiance était aux rires, aux exclamations joviales, aux cris, aux pleurs d'enfant et aussi au chant, à la danse, aux you-you, aux tam-tam improvisé sur une casserole." (BELAMRI Rabah, Le Soleil sous le tamis, Publisud, 1982, p. 149).

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Marguerite-Taos AMROUCHE, Rue des Tambourins, Paris, La Table ronde, 1960, p. 78.

Il est à signaler que les femmes kabyles brodent de très jolis burnous. Destiné à protéger du froid et affirmer la personnalité de l'homme, le burnous est à la fois majestueux, chaud et résistant. Les deux pans en sont reliés, au niveau de la poitrine, par une passementerie décorative dont la technique est transmise par les artisans à leurs proches. Réalisé avec des fils de soie bleus ou blancs (ou les deux juxtaposés), le dessin représente une figure géométrique classique : deux équerres renversées. Des motifs semblables se retrouvent aussi sur les couvertures des Hauts Plateaux ou celles de la Grande Kabylie. Enfin, flidjs et tentes nomades sont parfois recouverts d'éléments décoratifs rudimentaires (lignes parallèles, angles) mais de couleurs vives. A l'instar d'autres objets artisanaux tels les poteries, le tapis rural, celui des nomades en particulier, est conçu pour un usage quotidien. Dans les musées algériens, l'art traditionnel est partout présent. De ce point de vue, le pays tout entier est un vaste musée.

Ali BOUMAHDI, Le Village des Asphodèles, op. cit. p. 120.

Mohammed DIB, L'Incendie, op. cit., p. 9.

Mouloud MAMMERI , La Colline oubliée, Paris, Le Seuil, 1952,, p. 24, rééd. Alger, ANEP, 2008.

Marguerite-Taos AMROUCHE , Rue des Tambourins, op. cit. p. 31.

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Nabil FARES, Yahia, pas de chance, Paris, Le Seuil, op. cit,. p. 16.

Mohammed DIB, Le Métier à tisser, op. cit., p. 184.

On peut dire que la fraternité et la solidarité président au destin de la communauté paysanne. Ces sentiments s'expriment à travers l'élan naturel des uns envers les autres : Azzouz est recueilli dans une maison de fellahs après l'Incendie (L'Incendie, op. cit. p. 161). Les uns volent au secours des autres, animés par "un amour fraternel" (Idem p. 73). Cette tendance communautaire est soulignée dans le texte par la répétition du mot "frère" et de l'adjectif "fraternel". L'exemple est donné, dans le discours social que tient Ben Youb à l'intention de tous "Qui voudra du mal à son frère... Qui creuse un fossé pour son frère y tombera lui-même" (Idem p. 49). Le fellah a naturellement accès à la conscience sociale, à l'opposé du citadin plus individualiste et plus renfermé dans ses rapports avec les autres.

Mohammed DIB, L'Incendie, op. cit., p. 37. Le fellah est conscient qu'à "temps nouveau, il faut des hommes nouveaux" (Idem p. 57). Cela suppose que l'intérêt pour tous réside dans un changement réel des hommes, les hommes nouveaux doivent être capables de faire face aux problèmes posés par les conjonctures sociales et politiques nouvelles.

Mouloud FERAOUN , Le Fils du pauvre, Paris, Le Seuil, 1954, p. 104, rééd. Alger, ANEP, 2005.

Ali BOUMAHDI, Le Village des Asphodèles, op. cit. p. 100.

Ali BOUMAHDI, Le Village des Asphodèles, op. cit p. 181.

Frantz FANON, Les Damnés de la terre, op. cit.. p. 12, rééd. 2009.

Ali BOUMAHDI, Le Village des Asphodèles, op. cit. p. 199.

Jacques BERQUE, Dépossession du monde, Paris, Le Seuil, 1964, pp. 154 et 156, rééd. Alger, ANEP, 2008.

Signalons que la corruption est utilisée d'abord comme moyen de pression : le colon est conciliant avec le collaborateur auquel il accorde aussi aide et privilèges : il lui cède par exemple les récoltes d'olives à des prix assez bas pour lui permettre de réaliser des bénéfices. La corruption est aussi le moyen de garantir l'alliance contractée avec les uns et les autres. L'argent gagné par le patron aux dépens des ouvriers tlemcéniens se volatilise en pots-de-vin, une façon de se rapprocher des "puissants". De grands négociants sont les amis de Mahi Bouanane, des notables français le respectent, un inspecteur de police est son confident (DIB Mohammed, Le Métier à tisser, Paris, Le Seuil, 1957, p. 145).

Enfin la corruption est une manière de "gâter" la morale et le jugement des hommes : Mahi Bouanane s'adonne à la boisson, croyant corrompre ces mêmes personnes qui l'exploitent : l'inspecteur "Nefnef" ou plutôt sa compagne, mène certainement Mahi à la ruine : " L'argent de Mahi ? Sitôt gagné, sitôt dépensé ! Pfuit ! ça lui coule entre les doigts '...)." (Idem p. 144)

Mohammed DIB , Le Métier à tisser, op. cit. p. 34.

Idem, p. 35

Idem p. 150.

Mohammed DIB, Un été africain, Le Seuil, Paris 1959, p. 90.

Op. cit. p. 8

Cette image que l'on retrouve aussi dans les textes du Congrès de la Soummam ou du Programme de Tripoli, restera en partie celle des instances politiques de l’Algérie indépendante. Le Président Boumédiène ne considérait-il pas les masses rurales comme le "porte-flambeau de la révolution", alors que les villes, pour le Programme de Tripoli, sont porteuses "d'esprit petit-bourgeois" et drainent "les concepts les plus frelatés de la civilisation occidentale". (LECA Jean, Villes et système politique. L'image de la ville dans le discours officiel algérien. Manuscrit dactylographié, à paraître, p. 31).

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"Ville" signifie d'abord celle du colon, irréelle parce qu’étrangère, mais à cause de cette étrangeté même, elle est la fête, elle suggère la transgression, et elle est femme. Femme " toujours fuyante en sa lascivité, tardant à se pâmer, prise aux cheveux et confondue dans l'ascension solaire " dit Kateb Yacine (Nedjma, op. cit., p. 70).

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Published

2010-12-01

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ALI KHODJA, J. (2010). La dichotomie fondamentale terre/cité à travers quelques lectures maghrébines. Journal of Human Sciences , 21(2), 55–76. Retrieved from https://revue.umc.edu.dz/h/article/view/570

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