L’ANOMIE ANOMALE Contribution à la sociologie des transitions sociales bloquées
Résumé
Le changement social est intrinsèquement anomique et l’anomie est une dynamique transitionnelle qui est appelée à se stabiliser. C’est la règle qui se dégage des analyses qui en ont été faites, à commencer par celles du fondateur attesté de la sociologie, Emile Durkheim, sur les sociétés industrielles et plus exactement sur les effets de la révolution industrielle, où l’ordre traditionnel est altéré sans que le nouveau ne soit complètement installé. Le phénomène est, à l’origine, endogène, et les sociétés concernées (désormais industrialisées) se caractérisent aujourd’hui par une relative stabilité, à l’inverse des sociétés émergentes où l’anomie prend de nouvelles formes : elle est anomale, dans la mesure où elle est exogène, due pour une grande part à ces mêmes sociétés industrialisées, et, en raison de cela, paraît interminable, inachevée, bloquée. Bien qu’ils ne s’inscrivent pas explicitement dans cette problématique, qui reste à construire, les travaux de Sayad et de Bourdieu sur le déracinement rural et la transplantation des ruraux en ville apportent un précieux éclairage sur les dimensions micrologiques et macrologiques de ce phénomène.
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Références
L’idée de domination, prise au sens d’"exercice de la contrainte", est constitutive du concept "anomie", dans la mesure où le mot grec dont il dérive, nomos (loi), « détermine d’abord un territoire [le nome] où l’on peut exercer sa terreur » (CAMBIER Alain, Qu’est-ce qu’une ville ? Paris, Vrin, coll. Chemins philosophiques, 2005, p. 13).
« Par extension, synonyme de déviance » (Dictionnaire de sociologie de Gilles FERREOL & al., Paris, Armand Colin, 1991).
Emile DURKHEIM, De la division du travail social [1893], Paris, P.U.F., 1978, pp. 404 405.
Pour reprendre la distinction de Ferdinand TÖNNIES entre communauté et société (Communauté et société, catégories fondamentales de la sociologie pure, 1887).
In Yves GRAFMEYER et Josef ISAAC (Textes traduits de l’américain et présentés par), L'école de Chicago, naissance de l'écologie urbaine, Paris, Editions Aubier, 1984, p. 53.
Robert Ezra PARK, « La communauté urbaine: un modèle spatial et un ordre moral » [1926], in Y. Grafmeyer et J. Isaac, op. cit., pp. 201-202.
Ernest W. BURGESS, « La croissance de la ville : introduction à un projet de recherche » [1925], in Y. Grafmeyer et J. Isaac., op.cit., pp. 138-139.
Burgess, id., pp. 138-139.
Certaines grandes villes américaines, comme New York et Chicago, sont organisées de telle façon que les bas quartiers, surpeuplés, sont constitués essentiellement de colonies d'immigrants représentant autant de nationalités et d'ethnies, autant de refuges pour les premiers arrivants et autant de « zones morales » et d’ « aires de détérioration ».
R. E. Park, « La ville, propositions de recherche sur l’étude du comportement humain » [1916], in Grafmeyer Y. et Isaac J., op. cit., p. 111.
« En milieu urbain, le voisinage tend à perdre une grande partie de la signification qu’il avait dans des formations plus simples et plus primitives. […] Par contre, l’isolement des colonies d’immigrants et des colonies raciales dans les "ghettos" et les aires de ségrégation tend à préserver […] la solidarité des groupes locaux et des groupes de voisinage. » (R. E. Park, Id. p. 92).
A. Sayad, « Les trois "âges" de l’émigration algérienne », Actes de la recherche en sciences sociales, année 1977, volume 15, n°1, pp. 59-79.
A. Sayad, id.
A. Sayad, id.
Qui ne se limite pas aux banlieues et quartiers périphériques.
A. Sayad, « L’immigration en France, une pauvreté exotique », in Aïssa KADRI et Gérard PREVOST (Coord.), Mémoires algériennes, Paris, Editions Syllepse, 2004, p. 129 : OS est le sigle d’ouvriers spécialisés.
A. Sayad, id., p. 130.
Laure PITTI, « La main d’œuvre algérienne dans l’automobile ou les oubliés de l’histoire », in A. Kadri et G. Prévost (Coord.), op. cit., p. 66.
Titre d’une pièce de théâtre du célèbre écrivain algérien KATEB Yacine, produite en 1971 pour les immigrés en France.
A. Sayad, « Les trois "âges" de l’émigration algérienne », op. cit.
Au sens marxiste du terme, c’est-à-dire en tant qu’intégration au rapport de production capitaliste.
A. Sayad, « Immigration et pensée d’Etat », Actes de la recherche en sciences sociales, année 1999, volume 29, n°1.
A. Sayad et P. Bourdieu, Le déracinement, La crise de l’agriculture traditionnelle en Algérie, Paris, Editions Mouton, 1964.
A. Sayad et P. Bourdieu, id., p. 13.
La deuxième génération d’émigrés, d’après le classement effectué par A. SAYAD dans son article « Les trois "âges" de l’émigration algérienne », op. cit., est le produit direct de ce processus de dépaysannisation.
Sayad et Bourdieu, id., pp. 167-168.
Sayad et Bourdieu, id., p. 35.
Sayad et Bourdieu, id., p. 126.
Sayad et Bourdieu, id., pp. 167-168.
Sayad et Bourdieu, id., p. 161.
De la division du travail social, op. cit., p. 405.
Albert MEMMI, Portrait du colonisé, Payot, Paris, 1973, p. 153.
Cf. Sayad, « Les trois "âges" de l’émigration algérienne », op.cit.
Raymond BOUDON, « L’anomie », in Encyclopædia Universalis, 2004, 2009, 2010.
« L’immigration algérienne en France, l’aînée des émigrations maghrébines, un antécédent qui a valeur d’exemple », Actes du colloque La migration internationale des travailleurs tunisiens, université de Tunis, Cahiers du CESRES, n°6 (série démographique), 1987, pp. 203 253.
Sayad, id.
The Polish Peasant in Europe and America, Monograph of an Immigrant Group, Chicago, University of Chicago Press, 1918-1920.
Id.
Id.
Sayad est cité ici à titre emblématique.
Dans la mesure où elle est focalisée sur les frontières ethniques et les spécificités culturelles au détriment des polarisations internes et de l’instabilité qui affectent les cadres de référence, faisant des migrants des mutants.
« Pour préciser et affirmer cette théorie féconde, la voie paraît être l’analyse de la genèse de l’anomie. Cela a été fait dans le cas des phénomènes de transplantation. Cela pourrait et devrait être fait à propos des phénomènes de changement social dont l’analyse est si importante à notre époque », Raymond BOUDON, « L’anomie », op. cit.
P. Bourdieu, Travail et travailleurs en Algérie, Paris, Editions Mouton & Co, 1963, p. 352.
Boudon R. & al. (Sous la direction de), Dictionnaire de la sociologie, Paris, Larousse, 1990.
Entre autres, Philippe BESNARD, L'anomie: ses usages et ses fonctions dans la discipline sociologique depuis Durkheim, Paris, PUF, 1987.
En admettant que l’Algérien en fasse partie.
